« Rien de trop beau pour les dieux », la dernière exposition de Jean-Hubert Martin

L’exposition Rien de trop beau pour les dieux, conçue par Jean-Hubert Martin, vient de s’achever. Sa localisation, à la Fondation Opale, nichée dans le massif alpin suisse, ne la rendait pas des plus accessibles… Fort heureusement, la Fondation a fait le pari d’un catalogue publié aux Editions 5 continents, qui lui assure une plus grande diffusion et la pérennité.

Priorité au regard sur les objets plutôt qu’à l’érudition, vision transcontinentale (l’exposition s’intéresse à l’Afrique, aux Amériques, à l’Asie aussi bien qu’à l’Europe et à l’Océanie), rapprochement de la création artistique individuelle et d’usages sociaux immémoriaux, art contemporain mixé avec arts populaires et arts premiers, l’exposition porte la marque de fabrique de celui qui est considéré comme un des plus grands « curators » de l’art contemporain, dont les inspirations, des Magiciens de la terre (1989) à Carambolages (2016) ont marqué l’histoire des expositions.

L’autel – le terme est assez européanocentré – désigne ici un espace de dévotion, un dispositif où se concentre la présence des dieux ou des esprits et où le « croyant » peut entrer en communication avec eux. C’est à la fois un lieu et un ensemble d’objets, une architecture, d’intérieur ou de plein air, qui peut convoquer aussi la peinture, la sculpture, les textiles, la céramique, les éléments naturels, le corps… C’est, comme l’indique J.H. Martin, l’ancêtre des « installations » tant prisées par les artistes contemporains. Les autels sont rarement présents dans les musées, qui souvent les démantèlent en fonction de leurs modes de classement, et c’est le premier mérite de l’exposition de les aborder et de les présenter comme tels, des ensembles intrinsèquement mixtes, et flous, solides ou éphémères, chaotiques ou soigneusement ordonnés.

Le catalogue embarque dans un grand voyage dans le temps, des plus anciens à aujourd’hui, et dans l’espace, puisque tous les continents sont abordés. On y croise toutes sortes de croyances et de cultes (les jumeaux, les ancêtres, le vaudou, Quimbanda, Kali, Shiva, Bouddha, le chamanisme, le serpent arc-en-ciel, … mais aussi de nombreux artistes montants ou confirmés (comme Boltanski, Abramovic, ou Hazoumé). Il ne dispense pas de s’interroger sur les effets de la colonisation, l’athéisme, les tensions entre les religions instituées et un animisme polymorphe et presque universel.

Comme souvent dans les expositions de Jean-Hubert Martin, on finit par être gagné par une sorte de trouble du regard et des savoirs. Tel autel hindou pourrait passer pour une oeuvre d’artiste contemporain, telle installation d’un artiste mexicain rejoint la profusion des autels funèbres de la culture sud-américaine. Ce trouble est évidemment la porte d’entrée vers une réflexion toujours ouverte sur la croyance et sur la création.

Denis Bruckmann

Rien de trop beau pour les dieux : autels et création contemporaine par Jean-Hubert Martin, Fondation Opale, 5 continents, 2025, 35 euros

Autel de Mami Wata, culte Vaudou, Bénin, photo Lumento

Arbre sacré sur le bord du Gange à Haridwar, par Deidi Von Schaewen

Autel de Quimbanda, Culte de Quimbanda, Brésil, photo Lumento

Autel jardin des fleurs, chamanisme, Chine du Sud, photo Lumento

Ttes ill. extraites du catalogue Copyright 5 continents

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