Nous étions 8 pour ce voyage destiné à nous familiariser avec les nouvelles installations des collections ethnographiques berlinoises transférée de Dahlem, leur localisation depuis l’après-guerre, au Humboldt Forum, pastiche de l’ancien palais impérial, sur l’ile aux musées.

Les plus impatients, arrivés avant le début officiel de ce voyage, se retrouvèrent la veille autour d’un bon diner dans un restaurant face à l’Ile aux Musées, avec vue sur la cathédrale.
Les 3 visites organisées prévues sur 3 demi-journées nous ont permis de survoler quelques points particuliers des collections africaines, océaniennes et nord-américaines.
En préambule à chaque visite guidée nous avons eu droit au discours resituant la présence de ces collections dans le contexte colonial et la prise en compte actuelle de leur avenir (restitution ou autre).
La première visite intitulée « Une mer d’îles, des vues océaniques du monde » était axée sur une belle collection de bateaux océaniens, dont un notamment pose le problème de son acquisition : le voilier de Luf (voir photo). En résumé, trop lourd pour être mis à la mer par les autochtones il l’a été par les Allemands qui, après tractations (coercitives ?) l’ont rapporté chez eux.

Pour plus de détails : https://www.casoar.org/grand-reporter/2023/01/25/un-somptueux-bateau-au-coeur-de-la-tempete-quel-avenir-pour-le-bateau-de-luf-au-humboldt-forum
Sur le bateau de Luf, on peut voir également Tribal Art Magazine, n° 112, été 2024 : Le bateau de Luf du Humboldt Forum et « la quête du mal allemand ».
La visite suivante, a été très intéressante et enrichissante : « Un collectionneur entre deux mondes – Francis La Flesche et sa collection ». Francis La Flesche est un indien Omaha, « arrivé » dans le monde des « blancs ». Homme de loi devenu ethnologue il a été commissionné par les musées allemands, qui voulaient préserver des témoins des cultures qu’ils pensaient être amenées à disparaitre, pour récolter 60 objets de la culture Omaha.
Les objets de cette récolte, et d’autres plus récents, étaient présentés dans une grande vitrine au centre d’une salle. Tout autour des vidéos relayant des interventions tant des représentants de la tribu Omaha que des organisateurs de l’exposition.

voir plus bas les précisions rassemblées par Yves Dietz sur le sujet (1)
La conférencière, co-curatrice de l’exposition, avait de nombreuses anecdotes à nous raconter sur ses échanges avec les indien.ne.s Omaha du Kentucky venues participer au montage de cette exposition.
Last but not least ! la dernière visite était consacrée aux « Bronzes du Bénin ». Les musées allemands semblent avoir été parmi ceux qui ont le plus acheté de bronzes du Bénin suite à la « expédition punitive » britanniques sur Benin City en 1897. Ils sont aussi les plus actifs pour la restitution de ces bronzes. Nous avions déjà vu, lors d’un précédent voyage DDM à Hambourg en 2022, une exposition de ceux destinés à une première restitution, venus de différents musées allemands. Notre conférencière, malgré son discours plus ou moins stéréotypé sur le sujet, semblait être plus mesurée sur ces restitutions. Elle nous a fait part, notamment, du fait que les 20 premières restitutions de l’Etat Allemand à l’Etat du Nigéria avaient disparu, soi-disant confiées à la protection à l’Oba actuel, Ewuaré II (actuel roi du royaume de Bénin, descendant de l’Oba Ovǫnramwęn exilé par les Britanniques en 1897).

Profitant de notre présence dans ce nouveau musée chacun, à son rythme et selon ses affinités, a pu parcourir les salles du Humboldt Forum pour y découvrir sa richesse.

Le soir du premier jour a été marqué par un moment de convivialité au restaurant « Emphraim’s », choisi par notre organisateur, très couleur locale. Nous étions comme dans un salon particulier, boiseries aux murs, bibliothèque.

Source illustrations : Humbolt Forum, participants.
Yann Meyer
(1) les précisions qu’Yves Dietz a rassemblées sur le sujet à partir du document du musée, de wikipedia et de ses notes prises pendant la conférence :
Un collectionneur entre deux mondes. Francis La Flesche et sa collection
Le nom Umoⁿhoⁿ (Omaha) signifie « à contre-courant » et représente le fait de surmonter les résistances et de faire les choses différemment. En même temps, il décrit un moment historique important avant la colonisation du Midwest américain, lorsque les Umoⁿhoⁿ se sont séparés des Quapaw et ont remonté la rivière.
L’exposition a pour thème une collection d’objets des Umoⁿhoⁿ que l’ethnologue indigène Francis La Flesche (1857-1932) a rassemblée à la fin du XIXe siècle à la demande du Musée d’ethnologie et qu’il a envoyée à Berlin. La Flesche l’a fait à une époque où l’indépendance politique, économique et culturelle des nations indigènes aux États-Unis diminuait énormément et où la perte des terres et la violence dominaient la vie des Native Americans dans le Midwest. Aujourd’hui, la collection est un lien entre le passé et le présent et le point de départ d’un nouveau chapitre dans la relation entre les Umoⁿhoⁿ et Berlin.
L’exposition, réalisée en collaboration avec des enseignants et des étudiants du Nebraska Indian Community College, des descendants de Francis La Flesche et des représentants des Umoⁿhoⁿ, aborde des questions politiques et sociales actuelles. La vie de l’Umoⁿhoⁿ est encore aujourd’hui marquée par l’expérience du racisme.
Dans ce contexte, la collection de Berlin revêt une importance particulière, car elle témoigne de la résistance au colonialisme. Pour les Umoⁿhoⁿ d’aujourd’hui, elle offre la possibilité de raconter leur propre histoire. Leur message central est: « We are still here ! »
Francis La Flesche est né le 25 décembre 1857 dans le comté de Cuming au Nebraska, États-Unis, mort le 5 septembre 1932 dans le comté de Thurston au Nebraska, États-Unis. Il est le premier ethnologue professionnel issu d’un peuple amérindien d’Amérique du Nord. Il a travaillé au sein de la Smithsonian Institution, se spécialisant d’abord dans la culture omaha dont il est issu, puis dans celle des Osages. Travaillant en étroite collaboration en tant que traducteur et chercheur avec l’anthropologue Alice C. Fletcher, La Flesche a écrit plusieurs articles et un livre sur les Omahas, ainsi que de nombreux ouvrages sur les Osages. Il a légué de précieux enregistrements originaux de leurs chansons traditionnelles et de leurs chants. En 1908, il a collaboré avec le compositeur Charles Wakefield Cadman pour élaborer un opéra, Da O Ma (1912), basé sur des histoires omahas qu’il a recueilli. Un recueil de ses histoires a été publié en 1998.
Francis La Flesche est le fils du chef omaha Joseph LaFlesche et de sa seconde épouse, Elizabeth Esau. Il a grandi dans la réserve Omaha à un moment de transition majeure pour la tribu. Avant d’être anthropologue, il a obtenu son premier cycle et sa maîtrise à la George Washington University Law School à Washington. Il a été largement reconnu à son époque parmi ses pairs américains d’origine européenne.
Grâce à son éducation à la Mission presbytérienne présente dans la réserve, Francis La Flesche parle aussi bien l’anglais que la langue omaha. Cela va lui permettre d’assister, en tant que traducteur, le linguiste James O. Dorsey de 1878 à 1880.
En 1879, Francis participe avec sa soeur Susette au procès Standing Bear v. Crook. Susette La Flesche participe comme interprète pour le chef ponca Standing Bear et témoigne en tant qu’experte sur les peuples amérindiens. L’issue de ce procès est d’une grande importance car le juge Elmer Dundy de la Cour de district des États-Unis juge qu’« un Indien est une personne » en vertu du XIVe amendement de la Constitution. Ce qui revient à reconnaître en partie la citoyenneté à tous les Amérindiens des États-Unis.
Après le procès, Susette invite Francis à l’accompagner avec Standing Bear dans une tournée de conférences dans l’Est des États-unis durant les années 1879-1880.
En 1881, Susette et son époux, le journaliste Thomas Tibbles, accompagnent Alice C. Fletcher, une anthropologue, dans un voyage sans précédent portant sur l’étude des femmes sioux de la réserve indienne de Rosebud. Susette est interprète lors de ce voyage. Francis La Flesche rencontre et aide également Fletcher à ce moment, et de cette rencontre commence une longue collaboration qui dure jusqu’à la fin de leur vie.
Ayant près de 20 ans de plus que lui, Fletcher le prend sous son aile et l’encourage à faire des études pour qu’il devienne anthropologue. Il commence à travailler avec elle à Washington vers 1881. Après une tournée de conférences sur les Amérindiens cette même année, La Flesche rejoint Washington, où il travaille comme interprète pour le Comité du Sénat américain sur les Affaires indiennes auprès du secrétaire de l’Intérieur de l’époque Samuel Jordan Kirkwood.
La Flesche obtient un poste au Bureau d’ethnologie à la Smithsonian Institution, avec qui Fletcher a collaboré pour ses travaux de recherche. Il travaille en tant que copiste, traducteur et interprète. Au début, il contribue à la classification des artefacts omahas et osages. Il continue également à travailler avec Fletcher pour ses travaux de recherches en tant que traducteur et interprète. Ayant repris ses études à l’Université Nationale de l’École de Droit de Washington, il passe sa licence en 1892 et obtient une maîtrise en 1893.
Durant leurs travaux en commun sur les Omahas, La Flesche suit avec une approche anthropologique les rituels et les pratiques de cette tribu et les décrit avec beaucoup de détails. Au cours de ses visites régulières chez les Omahas et les Osages, La Flesche réalise avec Fletcher des enregistrements de leurs chansons, ainsi que des descriptions écrites (maintenant jugées d’une importance inestimable). De cette collaboration sortent 46 ouvrages : A Study of Omaha Music (1893) et The Omaha Tribe (1911).
Le jeune compositeur Charles Wakefield Cadman, très intéressé par la musique des Amérindiens, est influencé par La Flesche. Cadman fait des séjours dans la réserve Omaha pour apprendre de nombreuses chansons et savoir utiliser les instruments traditionnels. En 1908, La Flesche propose une collaboration avec Cadman et Nelle Richmond Eberhart, pour créer un opéra basé sur les histoires omahas qu’il a recueillies. Eberhart écrit les paroles pour Cadman de Four American Indian Songs, ainsi que pour d’autres de ses chansons. Mais les trois collaborateurs ayant des points de vue différents, l’opéra n’est jamais publié, ni même exécuté.
Début 1910, La Flesche obtient un poste titulaire d’anthropologue au Bureau d’ethnologie américaine de la Smithsonian Institution. Il entame la deuxième partie de sa carrière et s’intéresse dès lors, dans des travaux de recherches menés désormais seul, à la musique et à la religion des Osages, qui sont étroitement liées aux Omahas.
« Son principal objectif était d’expliquer la pensée Osage, leurs croyances et leurs concepts. Il voulait que ses lecteurs saisissent le monde des Osages pour ce qu’il était, non pas le monde simple des « enfants de la nature », mais un monde complexe, reflétant une tradition intellectuelle aussi sophistiquée et imaginative que celles de tous les peuples du Vieux Monde. »
— Garrick Alan Bailey
La Flesche travaille sur ses recherches à la Smithsonian Institution de 1910 jusqu’en 1929 et écrit et donne de nombreuses conférences sur ses travaux. Il a écrit et publié la plupart de ses oeuvres pendant ce temps. Parmi ses oeuvres les plus remarquées on peut citer entre autres : The Middle Five: Indian Boys at School (1900), Who was the Medicine Man? (1904) et A Dictionary of the Osage Language (1932).
La Flesche épouse Alice Mitchell en juin 1877, mais elle meurt l’année suivante. En 1879, il épouse une jeune femme omaha, Rosa Bourassa, durant sa tournée en 1879-1880 avec sa soeur et Standing Bear, mais ils se séparent peu de temps avant qu’il ne commence à travailler à Washington, en 1881, et ils divorcent finalement en 1884. Durant la plupart de ses années à Washington, La Flesche partage une maison sur la Colline du Capitole avec Alice Fletcher et Jane Gay. On sait que Fletcher adopte officieusement La Flesche mais ils gardent privée la nature de leur relation.


L’exposition s’ouvre par deux agrandissements de portraits de Francis La Flesche : sur le premier, dans son costume trois pièces, le regard plein d’assurance, il est l’incarnation de la réussite ; sur le deuxième, il porte les vêtements d’un chef omaha (peut-être celui de son propre père), il a le regard perdu dans le vague, comme exprimant l’infinie tristesse de celui qui prévoit la prochaine disparition de sa culture.
A la demande des musées allemands, Francis La Flesche collecta 60 objets sensés définir la culture omaha et en être le témoin lorsque cette dernière aurait disparu. Parmi eux, certains correspondent aux stéréotypes de l’époque : une coiffe de chef décorée de plumes d’aigle, une fourrure, des calumets, etc. Mais on trouve aussi des outils de travail (herminette), des ustensiles de la vie quotidienne (mortier), des jouets, des vêtements, etc. Tous furent catalogués par Francis La Flesche.
Au sujet d’une paire de mocassins collectés par La Flesche, notre guide raconte une anecdote :
L’une des femmes de la représentation omaha venue inaugurer l’exposition, prenant la paire de mocassins entre ses mains, fondit en larmes. Ces mocassins lui évoquaient la façon dont les enfants omaha, lorsqu’ils intégraient les pensions américaines, intégraient également l’uniforme au détriment des beaux vêtements dont leurs parents, fiers de voir leurs enfants accéder à l’éducation, les avaient habillés. Les pensions étaient des lieux d’assimilation forcée : outre l’uniforme, l’usage de l’anglais était imposé, la langue vernaculaire proscrite et sanctionnée par des punitions corporelles, les cheveux coupés, …
L’exposition montre, au côté des 60 objets collectés par Francis La Flesche, un ensemble d’objets contemporains, apportés par les représentants de la communauté omaha. Parmi eux, une paire de mocassins en tout points semblable à celle collectée à la fin du XXe siècle ainsi qu’un porte-bébé d’inspiration indienne dans sa forme mais réalisé dans un tissu imprimé rose, montrant que la culture omaha, en dépit d’hybridations et contrairement à ce qu’en pensaient les Allemands de l’époque, est encore bien vivante.
D’autres membres du voyage DDM ont photographié des objets haïdas et autres groupes de la côte nord-ouest américaine trop peu représentés dans les musées français, les voici:









